Cyril, garagiste
Longtemps la moto a été pour moi un truc dangereux qui faisait du bruit pour rien. Et puis, à l’occasion d’un moment de déprime dont un ami motard a voulu me sortir, nous avons fait un tour sur sa moto et j’ai eu comme un flash de bonheur, de l’ordre de la révélation…
Depuis, progressivement, j’acquiers une nouvelle culture. Il y a bien sûr les marques des constructeurs, la puissance des moteurs, les équipements de protection, quelques dates historiques… mais aussi un rapport à l’espace, aux sensations corporelles sur les routes, le vent, les odeurs, le défilement du paysage, le rapport au temps et la conscience de soi bien plus importante qu’en voiture. Une nouvelle manière d’être.
Habituellement je n’ai pas du tout la mécanique, mais j’ai découvert qu’il y avait deux grandes catégories d’utilisateurs de motocyclette. Ceux qui ne veulent rien savoir de la machine et ne font que rouler et ceux qui mettent les mains dans le cambouis, règlent le moteur, fabriquent des pièces à en oublier parfois de rouler. On retrouve cela dans tous les domaines. Ceux qui sont fascinés par les ordinateurs et leur langage de programmation et ceux qui ne font que l’utiliser pour écrire par exemple. Ceux qui ont tous les appareils photo avec leur batterie d’objectifs dernier cri et ceux qui font avec ce qu’il ont sous la main avec un seul objectif pour tout.
Pour le moment, je suis de ceux qui roulent et ne touchent pas trop au moteur. Mais ça vient progressivement. En tout cas, si je ne suis pas vraiment un technicien, j’ai toujours aimé les voir travailler.
Cette fascination pour les techniciens augmente avec le temps. À mesure que les objets deviennent plus complexes et impossibles à réparer soi-même, les vieilles machines et ceux qui les connaissent m’attirent davantage. Les technologies modernes nous apportent la sécurité et le confort, mais en même temps nous dépossèdent de l’outil et d’un certain sentiment de liberté.
La réponse du monde capitaliste à la crise écologique est d’aller vers encore plus de technologie. C’est dans sa logique profonde de contrôle qui va à l’encontre de l’autonomie des individus que ce soit dans le travail, la manière de subvenir aux besoins fondamentaux, la politique ou les sentiments. Le symbole absolu du moment de tout cela étant le smartphone.
Ainsi, si je ne sais pas encore réparer ma motocyclette, c’est un être humain qui s’en charge et non un algorithme.
Alors faire un petit tour en moto avec un moteur thermique a quelque chose de transgressif (ça l’était déjà avant pour d’autres raisons). Juste parce que le confort et la sécurité comme projet de vie sont insupportables et que du coup, le chaos, les voyages, les désirs, les prises de risque… tout ce que ne supporte par le pouvoir en place, est la meilleure réponse.
Un livre mythique résumerait à lui tout seul dans quoi je m’embarque désormais : « Traité du zen et de l’entretien des motocyclettes« , Robert M. Pirsig, Points, 464 p.
Cyril est garagiste de motocyclette à La Troquette à Sauvigny-le-Bois.