Claude
Je marchais en regardant le trottoir afin d’éviter tout risque de contact visuel avec les autres passants.
Je hâtais le pas pour rentrer plus vite à la maison. Je voulais me couper du monde extérieur, me sentir en sécurité cloitré chez moi.
Je n’avais aucune raison d’avoir peur de quoi que ce soit, juste l’étrange sentiment d’oppression qui vous envahit quand la lumière tombe avant la fin d’une journée grise et alourdie des odeurs grasses des pots d’échappement. Les voitures roulent trop vite dans le bruit de leurs phares allumés.
Me rappelant soudainement que je n’avais pas encore envoyé la lettre que j’écris quotidiennement pour Berlin, je pris la rue à droite pour rejoindre la Poste du quartier. Au lieu de traverser la rue en son milieu pour prendre au plus court, méfiant, je fis un détour jusqu’au passage piéton, de crainte d’être renversé dans la pénombre par les automobilistes nerveux. Je mis l’enveloppe dans la boite “Étranger” et repris le chemin de l’appartement.
Je reconnus tout de suite sa silhouette voutée, ses épaules en avant et son balancement d’un pied sur l’autre. En portant à ses lèvres la cigarette qu’il finissait, nos regards se croisèrent et comme si l’on s’était vu la semaine précédente me salua d’un “Comment vas-tu ?”, “Bien et toi ?”. En regardant toujours sa cigarette comme un clin d’œil, il répondit “Tu vois, rien ne change…”. Ses cheveux avaient pourtant bien repoussé, il n’avait plus besoin de ce panama qui lui allait si mal et qu’il portait en permanence pour cacher les effets ravageurs de sa chimio pour un cancer des poumons.
“Tu n’as plus ton chapeau”
“Pas nécessaire” fit-il en se passant la main sur le crâne, emmenant ses cheveux dans une autre direction que précédemment.
“Et toi, la photo ?”
“Ça continue”
“Tu n’en fais pas assez… et tu devrais écrire davantage” et avant que je puisse commencer à me justifier, stupéfait de ce qu’il venait de dire, il lança un “Aller ! À plus tard !” avec un grand sourire en me touchant le coude avec sa large main afin que je ne me méprenne pas sur ses bonnes intentions à mon égard.
Nous reprîmes chacun nos routes sans nous retourner. Après quelques pas, retrouvant mes esprits, j’arborais un léger sourire, heureux de l’avoir revu et d’avoir reçu ses précieux conseils. En effet, cela faisait tout juste 11 ans que son cancer l’avait emporté.