J’ai été contrôlé par un SDF
J’avais rendez-vous à la sortie du métro, il faisait déjà nuit en cette fin d’après-midi d’hiver, quand je l’ai vu arriver, de loin, forcément.
Il enclencha son discours habituel « Pardons, vous n’auriez pas une petite pièce pour… ». Je lui répondis par mon propre discours tout aussi automatique « Désolé, mais… » et là rien ne se passa comme habituellement.
Il recula d’un pas et se mis en colère.
«Ah ! c’est toujours la même chose avec vous les Parisiens, vous n’avez jamais rien ! »
– Oh ! C’était pour te faire gagner du temps, je n’ai vraiment rien .
– Vous dites tous ça, mais vous avez de l’argent.
– Bin moi je suis au chômage.
– Et en plus tu mens !
– Pas du tout.
– Prouve-le !
Je sortis donc de mon portefeuille la carte d’inscription au Pôle Emploi à laquelle il répliqua, « oui, ça OK, mais ça prouve rien ! ». Je lui montrais donc la feuille de mise à jour mensuelle, « Ah OK pardon ». Et changeant complètement d’attitude, en se radoucissant « mais ça doit être dur, non ? ». Cette empathie soudaine me surprit, lui dont les habits étaient tout de même passablement élimés et l’hygiène corporelle légèrement douteuse se préoccupait de mon moral de chômeur.
– Tu faisais quoi comme métier ?
– Photographe.
– Ah ouais, avec le numérique et tout et tout.
Comme sa réponse correspondait à 99% de celle que l’on fait dans ce cas là, parce que c’est ce qui semble évident à première vue. Quelque chose de nouveau balaye quelque chose de plus ancien. Je voulu tenter une très rapide et courte explication étant donné la complexité du sujet.
« C’est pas tant le numérique que le fait que les journaux ne veulent plus rien payer, des amateurs il y en a toujours eu ».
Habituellement les gens se contentent de ce qu’ils pensent et ne s’engagent dans la discussion que pour chercher une confirmation de ce auquel ils croient, lui , par son regard concentré m’indiqua que je n’avais pas besoin d’aller plus loin, il avait parfaitement compris le problème. Sa position de marginal lui permettait de penser hors du cadre habituel de la pensée générale. Lui qui n’a prise que sur l’apparence des choses savait d’instinct bien que le monde fonctionne de manière plus complexe. Lui qui a le savoir-vivre de l’interstice avait soudainement pitié de celui qui, en principe, ne sait vivre que dans le système.
Je lui demandais alors quel avait été son métier.
– J’ai jamais travaillé de ma vie ! Jamais !
– Eh bien tu as bien du mérite, ça doit pas être simple tous les jours.
Mais mon compliment glissa sur lui, la fatigue se rappelant à lui soudainement.
– Bon, j’te laisse, j’ai besoin d’aller dormir.
– Bon courage.
Et il est reparti dans la nuit comme il était arrivé, s’effaçant et sortant du cadre.
Quand mon rendez-vous arriva et me demanda quoi de neuf, je lui dis que je venais d’être contrôlé par un SDF…