Disparition
Il y a des amis qui n’en sont pas, qui n’en ont jamais été et l’on met parfois longtemps à s’en apercevoir.
J’avais un jour fait une photo de lui au téléphone portable, suffisamment floue et vaporeuse car il n’aimait pas tellement être pris en photo. Je l’avais publiée, sans mentionner son nom, dans un livre sous la rubrique “Les amis” à une époque difficile où j’avais eu besoin de témoigner de la reconnaissance à tous ceux qui autour de moi m’avaient aidé à ne pas sombrer. Il en faisait partie. C’était donc un hommage, et jugeant que l’image n’était pas dégradante, je l’avais publiée sans l’en avertir. Tombant sur lui des années après, car nous avions eu peu d’occasions de nous revoir, il m’accueillit froidement, avec tout le mépris dont il était capable, pour me le reprocher rageusement.
La charge fut lourde et je ne sus trop quoi dire, jugeant que la haine disproportionnée qui émanait de lui ne valait pas la peine de s’expliquer pour tenter de sauver notre amitié.
Je sentis dans cette colère que ce n’était pas la reproduction de son image qui le rendait furieux, mais que ce n’était qu’un prétexte pour rompre notre amitié. Celle-ci, sans doute pesante pour lui, rendu publique, devenait totalement exaspérante. Il ne me reprochait pas d’avoir diffusé son image à peine identifiable par ses seules proches, mais d’avoir cru qu’il avait été mon ami n’ayant jamais été le sien. Son caractère légendairement renfrogné que je n’avais cessé d’excuser, la mauvaise réputation qu’il trainait derrière lui que je n’avais cessé de combattre auprès de nos connaissances communes et professionnelles se retournaient désormais contre moi.
J’hésitais entre la peine et le regret, j’optais pour le détachement.
En quittant le lieu de notre dernière rencontre, je savais que rien de ce qu’il produirait désormais n’éveillerait mon attention. Je devrais vivre avec ce que je connaissais de lui et continuerai d’apprécier. Il n’y avait plus d’avenir commun. J’eu soudain la sensation qu’il était mort.