Quitter Berlin…
Quand j’ai quitté Berlin au courant du mois d’août, j’ai pris le train à la gare de Spandau. Je ne connaissais pas cette gare puisque j’étais toujours parti de celle réservée aux militaires français à Tegel ou à Zoologish Garten.
L’environnement de Spandau semble déjà ne plus appartenir à Berlin. C’est une espèce de quartier morne sans particularité, d’une triste banalité où viennent s’installer des espaces de restauration qui vous font désespérer du genre humain.
J’étais en avance et le train avait du retard. Un jeune homme arrive tout essoufflé et me demande, en allemand, s’il est sur le bon quai pour Paris et s’il est dans les temps. Je lui réponds dans sa langue natale, le français, que oui il est sur le bon quai, que non le train n’est pas encore arrivé et que d’ailleurs il est en retard. Il me confie ses bagages pour aller poster une lettre et revient l’air préoccupé. Il s’assoit près de moi. Étant donné la tristesse qui m’envahissait, j’ai besoin de parler ou tout au moins d’entendre parler autour de moi, je tente donc de nouer le dialogue. Il répond volontiers aux premières questions comme quoi il est étudiant, que son stage ERASMUS vient de se terminer, qu’il doit aller dans une autre ville pour en faire un autre, qu’il aurait voulu rester à Berlin… puis pris d’un agacement soudain, il se prend la tête dans les mains pour s’isoler. Je le laisse à ses préoccupations qui semblent être de la peine. Quand je le sens de nouveau plus réceptif, je tente la question qui vient à l’esprit « tu laisses un amour ? ». Il se redresse d’un bon « Heureusement non ! Sinon j’aurais tout fait pour rester ». Et bien sûr j’entends, « Hélas non, sinon j’aurais eu la force et le courage de rester, j’aurais eu la perspective de pouvoir revenir… »
Puis de nouveau il me signifie qu’il ne souhaite plus poursuivre la conversation.
Nous restons silencieux chacun sur notre siège. Je m’étire sur le mien et me dis, « Voilà, 20 ans plus tard, la magie de cette ville opère encore et toujours »… d’une manière sûrement différente mais toujours aussi puissamment.
Et même avec une histoire d’amour qui pour moi fut d’une puissance rare, 20 ans plus tard, je n’ai pu rester non plus à Berlin. Cette ville s’incarne dans des femmes extraordinaires pour vous faire sortir de vos tripes… mais c’est aussi la ville des révolutions assassinées… Et comme toutes les grandes villes fascinantes du monde, elle prend et rejette selon son bon vouloir. Alors même si l’on a cru pouvoir enfin mener la révolution seul et conjurer le sort habituel qui leur est réservé, nous n’échappons pas à sa malédiction. Et c’est là l’étrangeté de Berlin, vous ne pouvez jamais lui en vouloir car même si vous ne devez jamais vous en remettre, elle vous a révélé une part de votre destin et vous rend à jamais redevable des instants prodigieux que vous y avez vécu, de la connaissance nouvelle du monde qu’elle vous a apportée.